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La première personne que Dracula change en vampire est Satine. A l’époque, elle n’est autre que la Comtesse de l’Aigle, l’une des plus grandes fortunes du sud de la France, née d’une illustre famille. Son mari vient hélas de rendre l’âme et la pauvre femme, éplorée, se réfugie dans un deuil interminable, emmurée dans son palais. C’est là que Dracula l’y rencontre un soir, après avoir entendu des rumeurs à propos de cet endroit, que l’on dit hanté par le spectre d’une veuve, lié à jamais à cette demeure.
Seulement, ce n’est pas un fantôme qui lui ouvre, mais un être de chair et de sang.
Les yeux de la comtesse sont plein de larmes et le parfum de la tristesse s’accroche à sa peau.
Elle ne semble pas surprise de voir apparaître un parfait inconnu sur le pas de sa porte, au contraire: un doux sourire fleurit sur ses lèvres, la rendant plus belle encore qu’elle ne l’est déjà.
-Etes-vous la mort? demande-t-elle d’une voix tendre, comme si elle accueillait un vieil ami.
Dracula ne répond pas, bien sûr. Le silence s’éternise jusqu’à ce que la comtesse s’efface pour le laisser entrer.
Le vampire comprend alors d’où viennent les chuchotis qu’il a entendus en ville: cet endroit est aussi lugubre que son propre château. Les volets sont tirés, aucune bougie n’est allumée, et le seul bruit qu’il perçoit est la respiration de la femme qui se glisse à ses côtés.
-Un verre de vin? propose cette dernière et, aussi naturellement que s’ils étaient amants, elle lui prend la main pour l’emmener au salon.
Dracula la suit sans rechigner, les yeux rivés sur la gorge pâle de son hôtesse.
Quand ils se retrouvent assis l’un en face de l’autre, une coupe à la main, le vampire a l’impression de se voir dans un miroir. Le regard de la comtesse est aussi éteint que le sien, à la mort de sa bien-aimée.
Ils boivent en silence, s’étudiant des yeux. Une chouette ulule dehors, mais aucun d’eux n’y prête attention.
-Vous connaissez ma douleur, n’est-ce pas? Je peux voir la même sur votre visage, chuchote la comtesse lorsqu’elle a fini de boire.
Un peu de vin tache la commissure de ses lèvres, pareil à du sang. Dracula sent la faim s’éveiller en lui à ce spectacle et il se redresse, prêt à bondir.
-Vous êtes là pour me tuer, n’est-ce pas? poursuit son interlocutrice. Faites donc. Peut-être aurai-je la chance de retrouver mon époux. Ou peut-être pas. Il n’y a qu’une façon de le savoir.
Dracula bande ses muscles, découvre ses crocs. Il a rarement eu droit à l’autorisation de ses proies pour les mordre, il ne doit surtout pas manquer cette chance.
Mais quelque chose le retient.
Cette femme… Cette femme le comprend, sans qu’il ait besoin de parler. Une idée se fraie alors un chemin dans son esprit, un espoir aussi fragile que du verre.
Son château est désespérément vide et il ne supporte plus d’être seul. La comtesse doit voir le changement dans ses yeux, puisqu’elle écarquille soudain les siens.
-Oh, dit-elle dans un souffle. Voilà qui est inattendu.
Elle se lève et Dracula pense qu’elle va essayer de s’enfuir. A son grand étonnement, son hôtesse vient s’asseoir à ses côtés et reprend sa main dans la sienne. L’ombre d’un sourire est de nouveau présente sur son doux visage. Quand elle lève les yeux vers Dracula, le comte sent son cœur se mettre à battre, pour la première fois depuis plusieurs décennies. Ils ne disent rien, parce qu’il n’y a rien à dire.
Le silence leur convient, ils se comprennent ainsi.
Alors Dracula se penche et écarte le col de la robe de satin du bout des doigts. Puis, aussi respectueusement que possible, il plante ses crocs dans ce cou gorgé de vie. Le sang de la comtesse de l’Aigle est riche et puissant, il se déverse sur la langue du vampire avec la puissance d’un torrent. Il y décèle une force insoupçonnée, cachée sous la tristesse et la solitude.
La comtesse laisse échapper un souffle tremblant et Dracula réalise soudain qu’ils pleurent tous les deux. Il ignore si c’est son propre chagrin qui s’exprime ou celui de sa nouvelle compagne. Honnêtement, ça n’a pas d’importance.
Bientôt, le sang se tarit et la vie quitte le corps de la comtesse.
Dracula la tient dans ses bras jusqu’à ce que ses yeux s’ouvrent à nouveau, remplis d’une nouvelle flamme, plus féroce que jamais.
-Bonjour, Satine, chuchote le regard du comte.
Sa compagne sourit et lui caresse la joue.
-Bonjour, comte Tepes, répond-elle avec tendresse, et ses crocs luisent dans l’obscurité.
Les deux vampires s’étreignent à nouveau.
Le temps de la solitude n’est plus.
Dracula rencontre Sorci dans les bas-fonds d’une ville anonyme d’Allemagne. Le comte rôde alors en quête d’une proie, peu importe laquelle. Des affaires urgentes l’ont malheureusement empêché de se nourrir et il a maintenant tellement faim qu’il peine à réfléchir. Il sait cependant qu’il y a trop de monde pour qu’il puisse se jeter sur le premier venu. Alors il s’enfonce toujours plus dans les entrailles de la ville, parcourant les rues les plus mal famées en quête d’une pauvre âme isolée.
Il en trouve une au coin d’une rue qui pue l’urine et l’alcool bon marché. Appuyé contre un mur, le garçon ne doit pas avoir plus d’une vingtaine d’années. Ses yeux bicolores s’accrochent à ceux du comte et un sourire lupin apparaît aussitôt sur son visage.
-Vous êtes perdu m’sieur? hèle-t-il lorsque Dracula fait un pas dans sa direction. Faites pas l’étonné, ça se voit. Vous faites tache ici. Je peux vous aider à retrouver votre chemin si vous voulez. A moins que vous ne voyez venu chercher un peu de compagnie. Dans tous les cas, il va falloir payer.
Dracula s’arrête un instant, pris de court par la franchise du garçon. L’espace d’un instant, il est tenté de rebrousser chemin, peu intéressé à l’idée de boire un sang possiblement contaminé par Dieu sait quelles maladies.
Mais il a vraiment faim et, pire que tout, quand son interlocuteur avance vers lui, l’odorat du vampire se retrouve assailli par une odeur métallique et familière.
Sa vision s’obscurcit et lorsqu’il reprend ses esprits, il a plaqué sa proie contre un mur, à l’abri des ombres d’une ruelle. Loin d’avoir peur, le garçon éclate de rire et enroule ses bras autour du cou du comte.
-On a faim, à ce que je vois, murmure-t-il d’un ton coquin.
“Tu ne crois pas si bien dire.” songe Dracula, dont les yeux s’égarent sur le cou de son cadet.
Il peut voir une veine palpiter sous la peau diaphane, aussi provocatrice que tout ce qui compose le jeune homme.
-Oh, alors vous aimez le sang? se moque ce dernier.
Dracula se fige. La même sensation que cette nuit-là, chez Satine, naît en lui. Cet humain peut aussi le comprendre?
-Ca tombe bien, j’ai peut-être quelque chose qui vous plaira. Attention, je ne réserve ça qu’à un public averti, continue de ronronner le garçon et, avant que Dracula comprenne ce qu’il se passe, l’une de ses mains se retrouve lovée entre des cuisses étonnamment chaudes.
Lorsque l’humain lâche son poignet et que le comte peut reculer, il réalise que ses doigts sont peints en rouge.
Le parfum métallique de tout à l’heure est plus fort que jamais et le vampire inspire brusquement, dévoré par la faim.
Avant même de s’en rendre compte, il s’agenouille dans la boue et tire le garçon contre lui. L’autre émet de nouveau un rire qui se termine dans un gémissement lorsque la bouche de Dracula se pose sur lui.
Le sang du jeune homme est épais et âcre, plein d’amertume et de colère. Le vampire s’en régale, les ongles plantés dans les fesses de l’humain pour le maintenir en place le temps qu’il se nourrisse.
En temps normal, le comte serait répugné de s’abaisser à de tels actes et d’aller chercher à boire à un endroit pareil. Mais la faim est trop grande et le désir s’abat sur lui sans qu’il puisse rien y faire.
Lorsque le sang vient à manquer entre les jambes du garçon, les crocs du vampire vont se planter à l’intérieur d’une de ses cuisses, et un nouvel amas de lave en fusion se déverse entre ses lèvres.
Et le garçon continue de rire et de gémir au-dessus de lui, les doigts agrippés aux cheveux du comte comme si sa vie en dépendait.
Quand Dracula ose le regarder, il réalise pour la première fois depuis qu’il est devenu vampire qu’il n’est pas le chasseur, mais la proie.
La proie d’un jeune homme qui n’en est pas vraiment un, la proie d’une sorcière, d’une créature plus pernicieuse encore que lui.
Un grondement sourd lui échappe, comme s’il essayait d’établir encore sa domination, mais le garçon se contente de rire à nouveau, alors même qu’il est en train de mourir.
Ses forces le quittent et il glisse bientôt le long du mur contre lequel il était encore appuyé. Dracula est obligé de lâcher prise et ils se retrouvent assis l’un en face de l’autre.
Puis ces étranges yeux bicolores se posent à nouveau sur lui et, avant que le comte puisse réagir, des lèvres glaciales se posent sur les siennes.
Il sursaute lorsque les crocs de son amant déchirent sa bouche, avides du sang que Dracula lui a volé.
Quand le jeune vampire recule, son menton est aussi rouge que les doigts du comte.
De nouveau, son rire s’élève dans le ciel nocturne.
Quand Dracula croise la route de Poison, quelque part au nord du Danemark, il a l’occasion de se rappeler que les humains peuvent être aussi pervers que les vampires.
La jeune femme vient alors de tuer chacun des membres de sa famille lors d’un grand dîner au cours duquel personne n’a pu déceler le goût inhabituel du vin.
Dracula, attiré par l’odeur du sang que les victimes ont perdu par tous les orifices de leur corps, entre dans la demeure sans un bruit.
Il y découvre le massacre, présidé par une ravissante créature couverte de dentelle de la tête aux pieds. Assise en bout de table, la jeune femme le regarde approcher avec un sourire.
Le comte sait, à la seconde où son regard se pose sur elle, qu’il a en face de lui un prédateur et non pas une proie.
Elle n’est pas aussi subtile que Satine, ou vicieuse que Sorci, mais l’étincelle malsaine qui brille dans ses yeux prouve qu’elle est toute aussi dangereuse qu’eux.
Pourtant, elle semble plus innocente qu’un ange. Ce contraste fait sourire le vampire avec tendresse.
Aussi silencieux qu’une ombre, il s’approche de la table sur laquelle trône encore des coupes pleines du coupable de ce carnage. Le comte s’empare de l’une d’entre elles et la porte à ses lèvres. Pas un instant ses yeux ne quittent ceux de la jeune fille.
Le sourire de cette dernière s’accentue quand il prend une première gorgée de vin.
-J’ignore si vous êtes fou, mais je vous souhaite la bienvenue ici, dit-elle après que Dracula ait reposé son verre. Je vous en prie, prenez donc un siège et régalez-vous tant que vous le pouvez.
Le comte obéit, prenant place à l’autre bout de la table. L’odeur du sang sature la pièce et, couplé au poison que le vampire vient d’ingérer, engourdit les sens de ce dernier.
-Vous n’êtes pas bavard, je me trompe? poursuit son hôtesse. C’est pourtant la dernière chance que vous avez de parler. Me ferez-vous entendre le son de votre voix avant de mourir?
Dracula, qui observait d’un œil critique l’assiette encore pleine posée devant lui, lève la tête vers son interlocutrice.
Il ne sait pas vraiment pourquoi il joue le jeu de cette enfant, mais il obtient sa réponse dès qu’elle poursuit:
-Oh, vous êtes déjà mort, c’est ça? J’aurais dû m’en douter. Ça se voit dans vos yeux, vous savez? Si si, je vous assure.
Alors comme ça, elle aussi entend les mots que le comte ne prononce pas. Voilà qui est intéressant.
Peut-être qu’il ne repartira pas seul d’ici, comme il le pensait en entrant.
-Je confirme, il n’y a aucune chance pour que nous ne vous suivions pas, Victor et moi, annonce d’ailleurs la jeune femme, dont le sourire atteint maintenant presque les yeux.
Le comte hausse un sourcil et son hôtesse désigne la poupée posée sur ses jambes.
-Victor, je te présente notre nouvel ami. Nous allons vivre chez lui désormais. Oh, j’espère que votre maison est grande et belle! Avez-vous un jardin? Oui? Pourrais-je y planter mes fleurs préférées? Il ne faudra pas y toucher, attention, leur parfum a tendance à faire perdre la tête.
Ses yeux caressent les cadavres des membres de sa famille et un rire extatique lui échappe soudain. Il ne s’éteint que quand Dracula se lève. Avec toute l’élégance dont il est pourvu, le comte se tamponne les lèvres avec une serviette, puis s’avance vers la jeune femme.
Quand il arrive devant elle, il lui tend la main. Curieuse, elle lui donne la sienne et le vampire l’aide à se lever.
Le baise-main qu’il lui offre se termine par des crocs lovés dans la chair souple de son poignet.
Les yeux de la jeune femme s’illuminent de plus belle et elle se met à rebondir sur ses pieds comme une enfant le matin de Noël.
C’est la première fois que Dracula boit un sang aussi sucré, plein d’excitation et d’ambition. Il lui coule dans la bouche comme du chocolat fondu et le comte déplore presque de ne pouvoir en profiter qu’aujourd’hui.
Quand la source s’assèche, le corps de sa nouvelle compagne s’effondre sur sa chaise, où elle reste un moment, les yeux dans le vide. Quand elle se réveille, Dracula n’a pas le temps de s’écarter pour échapper à l’étreinte que lui offre soudain la vampire.
-Oh, je sens qu’on va bien s’amuser tous les deux! s’exclame-t-elle avant de le lâcher.
L’instant d’après, elle enjambe le corps de son père et disparaît par l'entrebâillement de la porte.
Dracula, pour sa part, récupère Victor qui a été oublié sur le bord de la table et emboîte le pas à la jeune vampire.

Sawcha Thu 26 Sep 2024 08:51PM UTC
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